Friday, May 25, 2007

Radio-Désert


Vingt-quatre heures de la vie d'un homme en vacances ne laissent évidemment pas un instant pour un exercice aussi vain et pénible que la tenue d'un blog. Le compte-rendu en sera également succinct : le désert a bien des mérites mais, par définition, il y a peu à en dire. La bourgade marocaine de Sidi Ifni, où j'ai passé huit jours délicieux, ne s'est pas illustrée dans l'actualité internationale depuis sa restitution par l'Espagne en 1969. Depuis lors, elle végète sur une branche secondaire de la route du Sahara occidental, accueille bon an mal an quelques centaines de touristes qui, depuis que le port s'ensable et que la piste de l'aérogare est abandonnée à l'action prédatrice du chiendent, ne s'y rendent pas sans une certaine opiniâtreté.

Vingt ou trente mille personnes y vivent, dans un calme presque excessif, des journées seulement animées par le flux et le reflux des marées. L'océan ronge en grondant les falaises rouges sur lesquelles est bâtie la ville, et laisse à leurs pieds d'immenses plages de sable blond, où l'on paresse ou joue au football. De l'avis général, Sidi Ifni donne l'idée d'une existence entièrement faite de vacances nonchalantes.

Mes entretiens décousus avec des représentants de la jeunesse locale m'ont néanmoins révélé une lassitude de leur condition non moindre que leurs compatriotes des grandes villes du Nord. Ici comme à Tanger, l'on rêve de l'Espagne proche, en l'occurrence des îles Canaries que, dit-on, l'on aperçoit parfois au loin depuis le cap Juby. De temps à autre, les minuscules bateaux de pêche qui fournissent aux environs le meilleur poulpe que j'aie jamais mangé, s'emplissent de désespérés ou d'audacieux et se lancent pour une traversée de 36 heures qui coûte à chacun 5000 dirhams (450 euros). J'ai eu la satisfaction de m'entendre confirmer que, la plupart du temps, ils parviennent à bon port.

Les émigrants de l'ex-territoire d'Ifni ne se trouvent rien à voir avec les milliers de Noirs subsahariens qui se rendent chaque année au Maroc dans le même but. En effet, la situation particulière de la ville, enclavée dans le protectorat français mais "capitale" de l'Afrique Occidentale Espagnole après 1946, avait induit le pouvoir colonial à conférer la nationalité espagnole à tous ses habitants, y compris indigènes. Cette réalité n'empêche naturellement pas les consulats espagnols au Maroc de dédaigner les requêtes déposées par leurs descendants afin qu'on reconnaisse leurs droits. L'Espagne ne se soucie pas de dépeupler Ifni. Elle a cependant la décence de prendre en considération les exigences légitimes de ceux qui, parvenus sur son territoire dans les conditions qu'on sait, peuvent produire l'extrait d'acte de naissance d'un de leurs ascendants. Ces formalités, qui prennent deux mois, sont réglées par un bureau situé à Badajoz : ce détail confère à la capitale de l'Estrémadure une popularité dans Sidi Ifni qui m'a d'abord étonné, de même que celle des mots "extrait d'acte de naissance".

L'on éprouve un sentiment de juste revanche à comprendre ainsi que, de tous ceux qui s'entassent sur les cayucos et les pateras, ceux d'Ifni au moins sont rétribués de leur peine, non par la condition lamentable qui est celle des immigrés clandestins, mais par une naturalisation immédiate (que l'on songerait difficilement, je le concède, à octroyer à tous ceux qui la voudraient).

Pour finir, et bien qu'ils n'aient pas besoin de ma recommandation mais parce que les vrais mérites doivent être salués : Midhou et Malika ont fait de leur hôtel "Suerte Loca" un endroit où il fait très bon vivre, et j'en connais peu qui le valent au Maroc. Il est vrai que le nom de leur établissement ("la Chance folle") laissait prévoir cette excellence.

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