Friday, June 1, 2007

L'arbitre des élégances vous parle (2)


L'avant-garde des années 70 se raconte. Après l'agréable mais quelque peu anodin Bardadrac de Genette, Jacques Henric fait à son tour paraître, sous le titre Politique, un essai autobiographique beaucoup plus conséquent où, évoquant son enfance dans l'ombre de la guerre, le PCF avec sa série de figures (au premier rang desquels Aragon), puis les aventures de Tel Quel et d'Art press, il obéit rigoureusement à l'exigence de la vérité de l'expérience. Cela le conduit parfois à surjouer son rôle de procureur intellectuel ; mais, dans l'amollissement général des consciences, ce terrorisme fait plaisir à lire. Notons aussi quelques passages picaresques, tels que le laissaient prévoir les hilarants extraits du journal de Henric parus dans le numéro 49/50 de L'Infini. On se souviendra longtemps de Maurice Roche ivre, racontant debout au milieu d'une salle de restaurant stupéfaite comment il a dû, dans la Résistance, exécuter sa petite amie d'une balle dans la tête ou, remédiant à la disette, goûter aux couilles d'un soldat boche abattu.

A force d'observer les vieux routiers publier les leurs dans la collection qu'il a créée (pour les nouilles, je précise qu'il s'agit de "Fiction et Cie", au Seuil), on se surprend à rêver aux improbables mémoires de Denis Roche. En attendant, en attendant, on relit Louve basse.

Tel Quel encore : on attend avec impatience la parution des mémoires de Philippe Sollers, annoncés fin octobre chez Plon sous le titre Un Vrai roman. Il s'agira peut-être là d'un document irremplaçable sur une des périodes les plus marquantes de la pensée moderne, par un de ses principaux acteurs et une de ses intelligences les plus vives. Mais comment se retenir de craindre que le semi-cadavre de l'auteur de Drame et de Paradis ne nous inflige plutôt le radotage gâteux auquel il nous a habitués depuis quatre ou cinq ans (Illuminations, Une vie divine, L'Evangile de Nietzsche, Le Saint-Âne, Dictionnaire amoureux de Venise, Fleurs...) ?

Une nouvelle dette s'ajoute à l'ardoise morale que je confesse envers Francis Marmande, écrivain, contrebassiste, dessinateur, aviateur et brillant aficionado : son article sur le dernier disque d'Abbey Lincoln, dans Le Monde, était une perle dont les conclusions ne souffraient aucune discussion. Abbey sings Abbey valait bien ce délicat dithyrambe : une semaine qu'il tourne en boucle sur ma platine, avec une prédilection marquée pour Throw It Away, And It's Supposed To Be Love et The Music Is The Magic.

L'on s'apprête à célébrer les quarante ans de la mort de John Coltrane, le plus grand musicien de son siècle, le plus grand fugueur de l'histoire avec Bach, et le seul artiste dont l'évocation suffise parfois à me mettre les larmes aux yeux. L'autre jour, en entendant le My favorite things de l'Olatunji Concert, lorsqu'au terme de l'interminable ouverture à la basse Coltrane survient pour chercher, toujours le même, l'accord qui ouvrira tout, j'ai justement pensé qu'il était des hommes pour lesquels la notion de mort était parfaitement, dérisoirement inappropriée.

Il y a bien des choses contestables dans Une Vieille maîtresse de Catherine Breillat, à commencer par la reconstitution historique qui fout le camp. L'ensemble demeure très remarquable : Asia Argento est plus proche de Carmen que de son rôle hystérique du Transylvania de Gatlif, et les scènes de sexe sont les plus belles et les plus réalistes, les plus belles car les plus réalistes, que j'aie vues au cinéma depuis Intimité de Chéreau.

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