Friday, July 13, 2007

Un clear stream dans le marigot


Si le traitement médiatique de l'affaire Clearstream n'était pas si ridicule, il aurait quelque chose de scandaleux, et la presse aurait du mal à se défendre du soupçon de se payer la tête de ses lecteurs. Que nous apprennent, en effet, les confidential reports extraits de l'ordinateur du général Rondot, si ce n'est que Villepin et Gergorin ont délibérément balancé les fichiers truqués à Van Ruymbeeke, ce dont même un chimpanzé à moitié demeuré n'aurait jamais douté ? Et que nous apprennent-ils sur la seule question qui importe, à savoir l'origine de la manipulation, et le rôle exact joué par Imad Lahoud ?

L'affaire Clearstream n'a jamais été, publiquement, celle de la possible possession de comptes douteux par des hommes d'Etat (à cela, personne n'a jamais cru, ou ne s'est intéressé, plus qu'aux pseudo-comptes japonais de Chirac) ; mais immédiatement celle d'une dénonciation calomnieuse de Sarkozy, orchestrée par l'Elysée. Dans cette "seconde affaire Clearstream", Villepin est l'accusé. Or, tout indique qu'il a lui-même été manipulé : si Villepin avait été à l'origine de la falsification des fichiers, serait-il passé outre les recommandations du général Rondot, dont l'enquête lui annonçait ce qu'immanquablement découvrirait le juge Van Ruymbeeke ? Tout se passe comme si les manipulateurs avaient dès l'origine compté, chez Villepin et Gergorin, sur cette qualité qu'on nomme en espagnol la "nobleza" et qui désigne la tendance du taureau à foncer droit dans la cape, servie par de solides rancunes, et un goût bien français de la manigance que leur grande intelligence semble avoir développé jusqu'à la manie tout court.

Au lieu d'un clear stream, nous avons un indéfinissable marigot où se mêlent des intentions très diverses, et où à l'évidence tous les protagonistes ne disposent pas d'une conscience également claire de la situation ; il est donc plus que jamais nécessaire de se demander : cui prodest ?

Thursday, July 12, 2007

Plat despotisme


Avec la lamentable révision constitutionnelle qui s'annonce, la France connaîtra bientôt un régime absolument unique parmi les grands pays du monde développé, puisqu'il sera à la fois présidentiel et centralisé. Chamfort rappelle, dans ses Remarques, avec quel naturel les historiens anglais de son siècle rangeaient ensemble la France et la Turquie parmi les Etats despotiques. Trois cents ans plus tard, à l'exception des protectorats du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine, l'Europe ne connaît toujours pas de pays qui aient plus besoin que ces deux-là de faire "encore un effort pour être républicains".
Le mot de Stendhal pour qualifier ce qui se passe aujourd'hui en France serait plat.

Tuesday, July 10, 2007

Toros au Puerto : deux oreilles pour le débutant Miguel Angel Sánchez


"Qui n'a pas vu de toros au Puerto ne sait pas ce qu'est un jour de toros". La phrase de Joselito fait beaucoup pour la gloire des arènes du Puerto de Santa María, parmi les plus grandes d'Espagne, et les secondes d'Andalousie pour le nombre et la qualité de leurs spectacles. Mais l'inverse n'est pas toujours vrai, et avoir vu des toros au Puerto ne suffit pas à être affranchi, comme l'a prouvé la décevante novillada de ce dimanche 8 juillet.

La faute aux toros, d'abord, "nobles mais de peu de race" selon le commentateur du Diario de Cádiz. Le deuxième, boiteux, sortit peu après la pique. Destabilisé, le tout jeune novillero Diego Lleonart transforma son poussif remplaçant en steak haché sous les huées du public ; visiblement mal à l'aise, il n'eut pas davantage de chance avec le cinquième et sembla se laisser gagner par la torpeur de son adversaire : il encaissa un deuxième silence. Son aîné, Eugenio Pérez, souffrit également de la faiblesse de son lot ; mais il obtint une oreille dans le second grâce à une bonne estocade.

Le héros du jour fut pourtant Miguel Angel Sánchez, de l'Ecole taurine de Jerez, qui à 23 ans donnait là sa première novillada avec picadors. Le troisième toro était le meilleur du jour et lui fournit l'occasion de briller ; sa mise à mort fut également la meilleure de l'après-midi, et il y laissa échapper un saut de joie sous les acclamations du public, qui réclama en vain pour lui une deuxième oreille après celle rapidement accordée par le président. Enthousiaste et généreux, d'ailleurs servi par d'admirables banderilleros, il reçut le dernier toro a porta gayola puis, dans le dernier tiers, multiplia les volte-faces sans vraiment parvenir à réveiller l'animal, et coupa sa deuxième oreille. On attend avec impatience de le voir prendre l'alternative !

Thursday, July 5, 2007

La révolution par les scouts


Le dernier opuscule de Tiqqun ("Comité invisible", ôte ta moustache, on t'a reconnu), L'Insurrection qui vient, est remarquablement représentatif des défauts et des qualités de ce groupuscule d'intellectuels, constitué il y a une dizaine d'années autour de la pensée de Giorgio Agamben, et dissous quelque temps du fait, paraît-il, de quelques démêlés virils au sujet des attentats du 11 septembre 2001, et aussi d'histoires de filles sur fond d'abus de boissons fermentées.

La pensée de Tiqqun est, tout simplement, la plus rigoureuse et la plus convaincante qui se puisse déduire de celle des situationnistes avant mai 1968 ; de ceux-ci, elle partage d'ailleurs souvent le brio, la qualité d'expression et la solidité des références. Quarante ans après, on ne peut néanmoins s'empêcher de bâiller devant leur déterminisme, comme s'il était nécessaire pour condamner ce monde lamentable de savoir qu'il s'écroule, par un besoin de se serrer les coudes au feu de l'histoire, quitte à peindre gris sur gris. Il y a là quelque chose d'un peu scout, d'un peu hippie (jusqu'à parler de faire un "pas de côté", comme dans L'An 01 de Gébé et Doillon), qui pèse et qui fatigue. La seconde partie, qui traite des modalités d'une insurrection future, est la plus attrayante ; mais la profonde nullité stratégique qui s'y déploie, même secondée par une vraie intelligence tactique, donne l'impression que les auteurs jouent aux petits soldats.

De toute l'avant-garde actuelle, les gens de Tiqqun sont sans nul doute les plus intelligents, et les plus radicaux. La stérilité historique de leurs thèses est donc exemplaire de l'urgence de réinventer la pensée révolutionnaire.